Télécharger Contes et nouvelles - Tome I - D'où vient le mal - Le Filleul pdf

Télécharger Contes et nouvelles - Tome I - D'où vient le mal - Le Filleul. Légende populaire - Les Deux Vieillards - Les Trois Vieillards. Conte de la région de la Volga - De quoi vivent les hommes - Histoire vraie - Le Moujik Pakhom - Feu allumé ne s'éteint plus - L pdf free

Télécharger Contes et nouvelles - Tome I - D'où vient le mal - Le Filleul pdf



D’OÙ VIENT LE MAL1

Un ermite vivait dans la forêt, sans avoir peur des bêtes
fauves. L’ermite et les bêtes fauves conversaient ensemble et ils
se comprenaient.
Un jour, l’ermite s’était étendu sous un arbre ; là s’étaient
aussi réunis, pour passer la nuit, un corbeau, un pigeon, un cerf
et un serpent. Ces animaux se mirent à disserter sur l’origine du
mal dans le monde.
Le corbeau disait :
– C’est de la faim que vient le mal. Quand tu manges à ta
faim, perché sur une branche et croassant, tout te semble riant,
bon et joyeux ; mais reste seulement deux journées à jeun, et tu
n’auras même plus le coeur de regarder la nature ; tu te sens
agité, tu ne peux demeurer en place, tu n’as pas un moment de
repos ; qu’un morceau de viande se présente à ta vue, c’est
encore pis, tu te jettes dessus sans réfléchir. On a beau te
donner des coups de bâton, te lancer des pierres ; chiens et
loups ont beau te happer, tu ne lâches pas. Combien la faim en
tue ainsi parmi nous ! Tout le mal vient de la faim.
Le pigeon disait :
1 Traduction E. Halpérine-Kaminsky et R. Jaubert. Extrait du
recueil À la recherche du Bonheur édité par la librairie Perrin et cie en
1916.
– 5 –
– Et pour moi, ce n’est pas de la faim que vient le mal ; tout
le mal vient de l’amour. Si nous vivions isolés, nous n’aurions
pas tant à souffrir : tandis que nous vivons toujours par
couples ; et tu aimes tant ta compagne, que tu n’as plus de
repos, tu ne penses qu’à elle : A-t-elle mangé ? A-t-elle assez
chaud ? Et quand elle s’éloigne un peu de son ami, alors tu te
sens tout à fait perdu ; tu es hanté par la pensée qu’un autour l’a
emportée, ou qu’elle a été prise par les hommes. Et tu te mets à
sa recherche, et tu tombes toi-même dans la peine, soit dans les
serres d’un autour, soit dans les mailles d’un filet. Et si ta
compagne est perdue, tu ne manges plus, tu ne bois plus, tu ne
fais plus que chercher et pleurer. Combien il en meurt ainsi
parmi nous ! Tout le mal vient, non pas de la faim, mais de
l’amour.
Le serpent disait :
– Non, le mal ne vient ni de la faim, ni de l’amour, mais de
la méchanceté. Si nous vivions tranquilles, si nous ne nous
cherchions pas noise, alors tout irait bien : tandis que, si une
chose se fait contre ton gré, tu t’emportes, et tout t’offusque ; tu
ne songes qu’à décharger ta colère sur quelqu’un ; et alors,
comme affolé, tu ne fais que siffler et te tordre, et chercher à
mordre quelqu’un. Et tu n’as plus de pitié pour personne ; tu
mordrais père et mère ; tu te mangerais toi-même ; et ta fureur
finit par te perdre. Tout le mal vient de la méchanceté.
Le cerf disait :
– Non, ce n’est ni de la méchanceté, ni de l’amour, ni de la
faim que vient tout le mal, mais de la peur. Si on pouvait ne pas
avoir peur, tout irait bien. Nos pieds sont légers à la course, et
nous sommes vigoureux. D’un petit animal, nous pouvons nous
défendre à coups d’andouillers ; un grand, nous pouvons la
fuir : mais on ne peut pas ne pas avoir peur. Qu’une branche
craque dans la forêt, qu’une feuille remue, et tu trembles tout à
– 6 –
coup de frayeur ; ton coeur commence à battre, comme s’il allait
sauter hors de ta poitrine ; et tu te mets à voler comme une
flèche. D’autres fois, c’est un lièvre qui passe, un oiseau qui
agite ses ailes, ou une brindille qui tombe ; tu te vois déjà
poursuivi par une bête fauve, et c’est vers le danger que tu
cours. Tantôt, pour éviter un chien, tu tombes sur un chasseur,
tantôt, pris de peur, tu cours sans savoir où, tu fais un bond, et
tu roules dans un précipice où tu trouves la mort. Tu ne dors
que d’un oeil, toujours sur le qui-vive, toujours épouvanté. Pas
de paix ; tout le mal vient de la peur.
Alors l’ermite dit :
– Ce n’est ni de la faim, ni de l’amour, ni de la méchanceté,
ni de la peur que viennent tous nos malheurs : c’est de notre
propre nature que vient le mal ; car c’est elle qui engendre et la
faim, et l’amour, et la méchanceté, et la peur.


No comments:

Powered by Blogger.