Télécharger Souvenirs entomologiques - Livre I pdf

Télécharger Souvenirs entomologiques - Livre I en pdf




Télécharger Souvenirs entomologiques - Livre I pdf



Les choses se passèrent ainsi. Nous étions cinq ou six : moi
le plus vieux, leur maître, mais encore plus leur compagnon et
leur ami ; eux, jeunes gens à coeur chaleureux, à riante imagination,
débordant de cette sève printanière de la vie qui nous rend
si expansifs et si désireux de connaître. Devisant de choses et
d'autres, par un sentier bordé d'hyèbles et d'aubépines, où déjà
la Cétoine dorée s'enivrait d'amères senteurs sur les corymbes
épanouis, on allait voir si le Scarabée sacré avait fait sa première
apparition au plateau sablonneux des Angles1, et roulait sa pilule
de bouse, image du monde pour la vieille Égypte ; on allait
s'informer si les eaux vives de la base de la colline n'abritaient
point, sous leur tapis de lentilles aquatiques, de jeunes tritons,
dont les branchies ressemblent à de menus rameaux de corail ;
si l'épinoche, l'élégant petit poisson des ruisselets, avait mis sa
cravate de noces, azur et pourpre ; si, de son aile aiguë, l'hirondelle,
nouvellement arrivée, effleurait la prairie, pourchassant
les tipules, qui sèment leurs oeufs en dansant ; si, sur le seuil
d'un terrier creusé dans le grès, le lézard ocellé étalait au soleil
sa croupe constellée de taches bleues ; si la mouette rieuse, venue
de la mer à la suite des légions de poissons qui remontent le
Rhône pour frayer dans ses eaux, planait par bandes sur le
fleuve en jetant par intervalles son cri pareil à l'éclat de rire d'un
maniaque ; si… mais tenons-nous-en là ; pour abréger, disons
que, gens simples et naïfs, prenant un vif plaisir à vivre avec les bêtes, nous allions passer une matinée à la fête ineffable du réveil
de la vie au printemps.
Les événements répondirent à nos espérances. L'épinoche
avait fait sa toilette ; ses écailles eussent fait pâlir l'éclat de l'argent
; sa gorge était frottée du plus vif vermillon. À l'approche
de l'aulastome, grosse sangsue noire mal intentionnée, sur le
dos, sur les flancs, ses aiguillons brusquement se dressaient,
comme poussés par un ressort. Devant cette attitude déterminée,
le bandit se laisse honteusement couler parmi les herbages.
La gent béate des mollusques, planorbes, physes, limnées, humait
l'air à la surface des eaux. L'hydrophile et sa hideuse larve,
pirates des mares, tantôt à l'un tantôt à l'autre en passant tordaient
le cou. Le stupide troupeau ne paraissait pas même s'en
apercevoir. Mais laissons les eaux de la plaine et gravissons la
falaise qui nous sépare du plateau. Là-haut, des moutons pâturent,
des chevaux s'exercent aux courses prochaines, tous distribuant
la manne aux bousiers en liesse.


No comments:

Powered by Blogger.